Cet après-midi, la nouvelle travailleuse sociale (gracieuseté du CLSC) est venue me rencontrer pour faire "une évaluation de l'autonomie de X-Boy et établir les objectifs à atteindre dans son plan d'intervention".
De grands mots pour de si petites lignes de formulaires. À quand les formulaires qui laissent de la place aux réponses comportant plus qu'un oui ou un non? (Je me lance dans cette entreprise dans un an!)
Ainsi, la nouvelle travailleuse sociale est entrée dans notre univers de super-héros en ce 29 juin 2011. Y restera-t-elle longtemps? A-t-elle la trempe pour nous comprendre?
Mmm.
L'ancienne t.s. *leur surnom, à ces aidantes* était une vraie bombe d'énergie, une fille aux idées fortes, avec un bagou tel le mien (oui oui!) et une force de caractère qui m'ensorcelait chaque fois. Et qui me permettait de me remettre les deux pieds sur terre et de continuer mon fabuleux boulot de X-Mom sans trop me prendre la tête ni vouloir sauver tous les habitants des autres planètes. Bref, l'ancienne t.s. était une aide précieuse, une presque amie que j'avais toujours hâte d'accueillir, même tout de pyjama vêtue. Elle était si "énergie" qu'elle est, depuis janvier, en congé de maladie. Évidemment, on ne peut me dire-madame de quoi elle a souffert ou souffre, mais elle reviendra sûrement en août "tout dépendra de l'avis médical". En clair, elle doit avoir eu un mal populaire; un burn-out, un surmenage professionnel ou une dépression. Il faut dire qu'elle menait de front trois gros projets: un boulot difficile (je vous mets au défi de visiter plein de familles "craquelées" en une semaine), une maîtrise à terminer et une vie en parallèle *et en priorité* de mère (monoparentale) d'un gamin charmant qui débute l'école.
Cet après-midi, j'ai reçu dans ma cuisine la version "propre" d'une t.s.... une juvénile, une néophyte du milieu "difficile" qui sort tout droit de l'université, qui habite en appartement avec son amoureux et qui n'était certainement pas décoiffée ni mal vêtue. Elle portait un tailleur pied-de-poule cintré sous des seins bien rebondis recouverts (pudiquement, quand même) d'un chandail moulant (moulé!) fuschia. À ses pieds, des petites ballerines blanches avec dedans, sur les bouts de pieds, de fins bas de nylon sans maille. (Ça existe, des bas comme ça? Faut que je sorte!) Elle avait les cheveux savamment retenus par un ruban rose et un rouge à lèvres discret mais bien appliqué.
T.S. d'avant débarquait chez nous en trombe, à 8h58, enlevait son manteau d'hiver même pas zippé, nous lançait un grand salut avec son bras encombré de son sac à "documents" et enlevait ses bottes pleines de calcium avec son autre main dans laquelle elle tenait son café et son téléphone. Elle arrivait dans la cuisine, s'excusait d'avoir une tignasse aussi rebelle, s'installait sur une fesse sur la chaise et éclatait de rire en voyant le petit à l'air médusé par une deuxième "X-Mom" survoltée dans son matin tranquille... X-Man se sentait à l'aise de passer près de nous avec une chemise "pas encore dans le pantalon" et restait avec nous pour tout le temps de la rencontre, finalement, tellement c'était pertinent d'être aux côtés de cette t.s. dynamo-dynamique.
Celle d'aujourd'hui m'a inspirée beaucoup de retenue. X-Man l'aurait saluée discrètement et m'aurait fait un signe de "c'est qui celle-là au juste?" et m'aurait demandé, le soir venu, si la stagiaire en travail social était "cool"?
La nouvelle t.s. a cet air sympathique, mais cette retenue indicible. Elle "travaille, elle". Elle n'est pas là pour m'écouter raconter des anecdotes savoureuses sur ma vie de X-Mom ni pour me ramener sur terre. Quoique oui, elle était là pour ça. Mais juste pour ça.
Elle s'est installée avec ses cahiers impeccables, son stylo dernier cri, les jambes bien droites et les pieds au sol et elle a commencé à me poser 13512466 questions on ne peut plus ennuyantes sur l'état actuel de X-Boy et sur la vie parentale. J'ai ponctué la "rencontre" de plusieurs niaiseries, blagues plates et rires incongrus qui ont réussi à la faire rire, à la toute fin où elle a lâché son rôle de Madame-Travailleuse pour me dire un "je resterais des heures à vous écouter, vous êtes coopérative, c'est bien!". Une phrase on ne peut plus fofolle, hein? Wow, wow, c'était trop d'émotions!
Tout au long de l'entretien, elle a regardé l'heure pour s'assurer qu'elle "y" arriverait. Pas évident de garder un esprit vagabond et enjoué comme le mien dans des cadres et des cases précis! Fallait lui voir le A+ dans les yeux quand, à une heure et quarante-cinq minutes, elle avait terminé. 15 minutes avant son "délai prévu". Elle a lâché un "je ne pensais pas y arriver" qui m'a fait éclater de rire et qui a déridé X-Boy qui s'est mis à hurler de joie lui aussi. Elle a souri et a débuté un rire qui s'est terminé par un "vous avez votre agenda proche, je vais vous revoir au mois d'août".
J'ai osé lui demander:
- Et vous allez faire quoi (parce qu'on s'est vouvoyé tout le long... et elle a quoi, 22 ans?) pour moi?
- ...
- Je veux dire, vous allez me donner des conseils, me "driver" comme l'ancienne t.s. (faut pas faire des comparaisons, mais bon) et me limiter les neurones hyperactives?
- Je vais faire un rapport détaillé de tout ce qui s'est dit aujourd'hui et avec mon système de quotation, je vais évaluer vos besoins et cibler des objectifs précis.
- ...
Je suis restée sans voix. J'ai un "système de quotation", moi!!!!!!!!!! Je peux-tu le voir, l'encadrer, le montrer à ma famille et à mes amis???? C'est quoi, ma note, hein??? J'ai la note de passage??? J'ai échoué??? JE VEUX VOIR ÇA!!!!!!!!
Elle a quitté en laissant à X-Boy la chance ultime de jouer 23.5 secondes avec la poignée de son sac à dossiers "ok X-Boy, je dois partir" (aucune place à l'improvisation) et elle est montée à bord de son auto de l'année.
Je sais que je suis passée par là, que je suis déjà "sortie fraîchement" de l'école et que j'avais l'ambition de tout réussir en étant "by the book" (moi? je ne crois pas avoir été "by the book" à aucun moment de ma vie) et en appliquant les grands principes appris lors de mes études universitaires, là où TOUT le savoir est, voyons. Je sais que je me croyais si forte, à 22 ans, si capable de changer le monde, à l'abri de la "croûtitude" des vieux, à l'abri des phrases clichées et que "jamais, non jamais, je ne deviendrais de même". Je ne pouvais m'imaginer une vie autre que la mienne, je savais où j'allais, je savais qui j'étais.
Et maintenant, 10 ans plus tard, j'ai cette impression de ne plus savoir rien, justement. Mais plutôt d'apprendre chaque jour et de découvrir la vie sous tous ses angles grâce aux autres qui m'entourent et grâce à l'ouverture que j'ai acquise. Je n'ai plus ce sentiment de certitude, je doute sans arrêt et c'est devenu un de mes plus forts moteurs.
Et j'aime les gens qui ont ces craquelures, qui ont compris qu'ils n'ont rien compris, mais qu'ils peuvent nous aider à comprendre. Qu'ensemble, on va y arriver. Arriver où? Arriver à quoi? Peu importe, mais on va réussir. On va vivre sans trop mourir chaque jour et en se levant chaque matin avec cette envie que cette routine ait sa particule de différence qui fait que la vie est ce qu'elle est.
J'aimais la t.s. d'avant pour cette fraîcheur qu'elle avait, celle de ne plus être si jeune, après tout. Celle d'avoir gardé son enfance au bord des lèvres et des vêtements.
Cette enfance qui fait des vieux, d'adorables petits vieux qu'on envie et qu'on a envie de côtoyer.
Cette enfance qui m'entoure et me fait espérer que chaque jour, je vieillirai un peu plus.
***
Sur ce, je vais aller voir si j'ai une nouvelle ride au plafond.
Touchant. Je me retrouve dans ce nouvel habit de maman, une madame qui doute, qui est habillée et coiffée toute croche, même si j'ai encore un pied à l'université (j'y retourne en sept). Faut croire que la vie m'aura permis d'avoir une vision différente des choses. Je ne serai donc pas tout à fait néophyte en sortant de l'école... cheveux gris à l'appui ;)
RépondreSupprimerMerci Marie-Claude! Je veux une preuve du cheveu gris! hahaha
RépondreSupprimerC'est bien vrai qu'on croit tout savoir à 20 ans. Plus tard, on doute. Ça s'appelle l'expérience ou la sagesse, je crois ;-).
RépondreSupprimerEn espérant que l'ancienne t.s. se remette rapidement de son mal mystérieux!
Quand j'ai commencé à lire ce texte, je méprisais un peu cette jeune t.s. qui ne connait rien à la vie à l'extérieure de livres mais qui pense le contraire... puis je me suis revue il y a quelques années... on passe tous par là j'imagine.
RépondreSupprimerIl y a quand même des matins où j'aimerais bien retrouver cette naïveté et cette liberté...