jeudi 30 octobre 2014

Guêpes, frites et musique classique...

Puisque je semble avoir un don pour croiser de sages personnes qui guident mes pas dans cet univers particulier qu'est celui de X-Boy, voici en primeur (comment pourrait-il en être autrement? Hahaha), l'histoire de Pierre, la proprio de la cantine.


***


Il y a de cela un mois, c'était la fête de ma plus-plus-meilleure-amie K qui, malgré tous ses efforts, n'avait réussi à s'organiser un party digne de sa folle personne... La vie étant ce qu'elle est, à la dernière minute, ses "autres" amies avaient décliné l'invitation de festoyer son anniversaire dans la si charmante maison de ses parents. Loin, là-bas, dans une campagne qui me fait rêver. (Et sacrer, car je m'y perds chaque fois, tsé).


J'avais moi-même décliné l'invitation, X-Boy étant ce qu'il est; une boîte à surprises et de lourdeur-à-traîner, poids corporel parlant. X-Man avait, ce week-end-là, un lancement dans une librairie et comme je faisais cavalière seule pour traîner le bambin, mon dos m'avait sommé de me reposer à la maison.


Que nenni! Mes neurones, elles, ce samedi matin-là, étaient en mode "high" et c'est en moins de deux heures que zou, je me suis retrouvée au volant de la X-Boy-Mobile avec le petit bien attaché et surtout, bien excité de quitter la chaumière de façon aussi subite! (Deux heures, ce n'est pas subit, vous pensez... mais oh oui, ce l'est ici!!!)


Qui plus est, l'automne avait décidé d'être tout en splendeur ce week-end-là, et puisque cela faisait des années que je manquais la si populaire "flambée des couleurs" à cause d'une flambée automnale de virus chez le gamin, l'occasion était trop belle de faire découvrir à ce gamin "en santé pour une fois" la beauté des feuilles jaunes, rouges et oranges et vertes, parce qu'il y a toujours un équilibre dans les arts naturels.


Je rêvais d'emmener X-Boy se promener dans les sentiers du Marais aux Cerises à Magog et de pique-niquer avec lui, en "namoureux mère-fils". Soit, c'est ce que nous ferions.


Le hic, j'avais oublié que "La Flambée des Couleurs" étant annoncée dans tous les médias de la planète attirait une FOULE de touristes, ce qui résultat en une FOULE de voitures pare-choc à pare-choc. Résultat: après avoir attendu presque une heure sur une route secondaire, l'heure avançait et le Marais aux Cerises resterait dans les projets futurs. Néanmoins, je TENAIS à pique-niquer avec X-Boy dans la nature. Je me suis donc dirigée dans le stationnement tout près du lac Memphrémagog. Aucune place de libre. Et surtout, aucune place pour "handicapé". J'ai compris rapidement que la tricherie serait de mise et c'est au McDonalds avoisinant que j'ai déniché un stationnement "réservé". X-Boy ayant la couche pleine, je me suis dit que les toilettes du resto seraient accueillantes, puisque ledit resto a la réputation mondiale de "conç pour les familles".


Que nenni. Fallait voir la salle de bain-cubicule. Presque AUCUN moyen de rentrer avec le fauteuil de X-Boy, complètement hystérique-rigoleur de voir sa mère se cogner dans les cadres de porte pour se frayer un chemin. Une fois "entrés" à l'intérieur du donjon: une seule toilette pour handicapé est disponible. À l'intérieur, se cache une dame âgée, qui, en sortant, m'a soupiré sa vie tellement elle se retrouvait coincée entre le fauteuil, X-Boy-l'humoriste et X-Mom-médusée d'avoir autant de plaisir... Alors que je me "dirigeais" (lire "roulais" le fauteuil d'un cm à la fois!), une vieille dame s'est faufilée DANS la toilette pour handicapé, en courant presque.


- Hem hem... Madame... j'allais dans cette toilette avec mon fils h-a-n-d-i-c-a-p-é...


- J'étais avant vous.


- Non, Madame. Vous avez presque "couru" pour y entrer.


- ...


- Bon, puisque vous ne semblez pas comprendre que "VOUS" pouvez utiliser une toilette "normale", nous allons attendre.


Le GROS hic, c'est qu'à cause du surplus d'espace dans cette salle de bain, je me retrouvais à bloquer la porte désormais ouverte de cette toilette à cause du fauteuil. Et comme à cet instant, deux femmes entraient pour visiter le musée du pipi, c'était le bal des portes qui ne fermaient plus et du casse-tête de "comment va-t-on faire pour bouger". Tout ça en même temps. (N'oubliez pas les cris heureux du gamin pour ajouter à l'ambiance.) La vieille coureuse s'est fâchée:


- BEN LÀ!!! JE NE PEUX MÊME PAS FERMER LA PORTE!!!


- BEN LÀ!!! Vous êtes VRAIMENT désagréable, vous, hein? Vous ne voyez PAS que je suis coincée avec mon fils qui ne MARCHE PAS et que ce n'est pas de MA faute et encore moins de la SIENNE SI on se retrouve coincés comme des sardines dans une salle de bain d'un resto supposément familial!!! Là, là, je suis découragée de la société, ma petite dame... vous n'avez pas idée!


- MAIS JE VEUX FERMER LA PORTE!!!


- JE VAIS ME TASSER ET TASSER MON FILS, MAIS DONNEZ-NOUS CINQ SECONDES POUR FAIRE LA CIRCULATION!!!


Les deux femmes qui tentaient d'entrer dans la salle de bain se sont mises à nous aider en reculant HORS de la pièce pour que La-Sprinteuse-Urinette puisse s'exécuter ensuite SORTIR du lieu sans devoir faire de la contorsion.


La Vieille-Urinite a fait son tit-pipi et les deux femmes se sont mises à remettre en question la grandeur de la salle de bain. Qui est donc l'imbécile d'architecte qui a conçu cet aménagement? Que font les mères avec deux enfants et une poussette? Que font les handicapés qui se déplacent "seuls" en fauteuil? Qui a voté pour Harper aussi, hein? Et qui sait comment ça s'ouvre, un sac de pommes de terre avec le tit-fil qui ne se défait jamais???


Bref, quelques siècles plus tard, Madame-Vieux-Pipi est sortie de l'antre (ou de l'entrejambe, hahah) du fourneau sanitaire et j'ai pu vider ma vessie colérique et changer la couche du petit-grand qui s'en battait les couilles de toutes nos histoires, depuis le début, en fait. Fallait le voir se marrer.


Tout le monde étant bien propre, j'ai décidé d'aller au parc avoisinant. Sauf que tout près de la plage se trouvait une cantine et qui dit fille-frustrée-de-l'injustice-architecturale-et-en-post-découragement-de-trafic-intempestif dit fille-qui-a-besoin-de-manger-des frites (et qui va jeter son lunch comme une vilaine ado!!). Oh que les frites seraient bonnes, croyez-moi!


Je me suis donc dirigée au comptoir où m'attendait une fort sympathique commis qui s'est tout de suite intéressée au petit soprano qui nous faisait des vocalises on ne peut plus discrètes!


- Qu'il en a des choses à dire, votre fils!!!


- Mmm. En effet... Je suis désolée.. il "parle" vraiment trop fort... Je ne peux pas le contrôler...


- Mais voyons. Ça ne dérange personne...


- C'est ce que vous croyez... Si vous voyiez les regards des gens quand mon fils se réchauffe la voix ainsi...


- Mais voyons... il s'exprime. Moi j'ai travaillé avec des enfants handicapés pendant de nombreuses années et je pourrais l'écouter des heures durant tellement c'est de la musique à mes oreilles...


- Aaaah... je comprends pourquoi vous êtes sympathique à "sa" cause... Vous en avez vu d'autres...


- En effet... Et ce sont des enfants merveilleux. Je crois que votre fils vous parle...


- Si seulement je pouvais comprendre ce qu'il dit...


- Héhé... Vous allez prendre quoi?


- Hein, ah oui! Des frites!!! Avec du ketchup... et un hot-dog, tiens. Ça fait un bail que je n'ai pas mangé ç.


En moins de cinq minutes, je m'installais tout près du kiosque avec X-Boy. Pour l'occasion, je l'ai sorti de son fauteuil et l'ai assis à mes côtés sur le banc de la table à pique-nique.


- Tiens, tu es assis "comme un grand".


X-Boy ne se pouvait plus d'autant de liberté. Il hurlait toutes sortes de sons. Je riais un peu jaune... comme les feuilles partout dans les érables... Parce que bon, j'ai beau adorer le bambin, je souffre de la maladie du "qu'est-ce que les autres vont dire"...


C'est à ce moment que le cuisinier s'est approché. Cigarette au bec, chapeau de papier sur le crâne et une poutine dans la main.


- Je peux m'asseoir avec vous?


- Hein? Oui... pourquoi pas?


Il avait un sourire "à la Raymond", alors je ne me sentais aucunement menacée. Intriguée par contre? Totalement.


- Je vous regardais avec votre fils et j'ai eu envie de venir vous parler.


- Ok... Qu'est-ce que j'ai fait de mal, ai-je blagué.


Il m'a souri et a pris la main du petit entre la sienne.


- Votre nom, c'est?


- X-Mom. Et vous?


- Pierre. Et votre fils?


- X-Boy.


- X-Boy, quel beau nom. (J'avoue... haha!) En fait, je vous ai observée et j'ai eu envie de vous dire de ne pas avoir honte de votre fils lorsque vous sortez en public. Vous êtes trop protectrice et vous ne le laissez pas s'exprimer.


J'étais subjuguée. Direct de même, le bonhomme. Il misait juste.


- Bon là, j'ai l'air du vieux mononcle qui donne des leçons... je ne veux pas vous faire la morale... juste vous donner un coup de main.


- Héhé, j'avoue que je suis un peu surprise. Car je ne crois pas avoir honte de mon fils... je l'aime de tout mon cœur et je l'accepte comme il est...


- Vous l'aimez, ça c'est clair. Mais vous ne voulez pas qu'il dérange. Je vous ai vue: dès qu'il fait des sons, vous vous penchez sur lui, essayez de le distraire, vous lui dites de parler moins fort et vous regardez tout autour pour voir s'il dérange les autres...


- Mais "il dérange" les autres... Il crie beaucoup trop fort... c'est gênant.


- Gênant pour qui? Pour lui? Je ne crois pas... Pour vous, ça c'est clair...


- Mais c'est tellement déplaisant de voir les gens se retourner, d'entendre leurs commentaires, de les voir soupirer...


- Et vous croyez que ça va aider votre fils de tenter de le cacher?


- Mais je ne le cache PAS. Si je suis ici, c'est que je VEUX sortir avec lui en public.


- Mais vous souhaiteriez qu'il soit "normal".


- Euh... j'avoue que je suis un peu bouchée là...


- Héhéhé, je vous taquine un peu... X-Mom, j'ai moi-même un fils paralysé cérébral qui a aujourd'hui 32 ans et qui parle, marche et donne des cours de musique... Mais jusqu'à l'âge de 8 ans, son avenir était très noir...


- Oh, je me disais aussi que vous étiez "en terrain connu"...


- Et j'ai longtemps été prof de musique pour les enfants handicapés...


- Wow... vous faisiez de la musicothérapie?


- Dans le temps, on n'appelait pas ça comme ça, mais oui... Et si vous saviez combien d'enfants j'ai vu "débloquer" grâce à la musique... X-Boy aime beaucoup la musique, n'est-ce pas?


- En effet. Tout ce qui fait du bruit l'intéresse. Les tambourines, les grelots, la radio, les annonces à la télé... les velcros et les sacs de papier...


- Mmm. Il est très sensible lorsque vous parlez de lui. Plus vous parlez, plus il lève la voix. Et plus il lève la voix, plus il essaie de vous parler et moins vous l'écoutez.


- ...


- Vous ne comprenez pas ce que dit X-Boy?


- Ben non... Vous comprenez, vous?


- Ben non. Et qu'est-ce que vous allez faire pour le comprendre mieux?


- Ah ben là.. je ne sais pas... les orthophonistes ne trouvent pas de système de communication... Et on ne sait pas s'il comprend exactement ce que l'on dit.


Sérieusement, à ce moment, X-Boy s'est mis à rire.


Pierre l'a pointé du doigt et X-Boy a mis sa main sur la table. Pierre a déposé sa main sur la sienne. Je suis devenue très émue.


- X-Mom... il va falloir que vous voyiez votre fils comme un garçon "normal". Que vous arrêtiez de le traiter différemment, de le considérer comme un bébé. Si vous voulez le comprendre, il faut le lui dire. Il faut lui dire que "ses sons" ne vous permettent PAS de savoir ce qu'il veut et que c'est à lui de faire des efforts pour parler comme "vous" ou d'apprendre à faire des signes avec ses mains. Il doit communiquer comme VOUS le voulez et pour ça, VOUS devez le lui montrer. En ce moment, vous lui dites seulement de parler moins fort et vous le laissez faire n'importe quel son...


- Oui mais... il ne pourra peut-être jamais nous imiter? Physiquement, il est limité... sa bouche n'est pas musclée comme la nôtre et il n'a pas de coordination avec ses mains...


- C'est ce qu'on vous a dit?


- Oui... et c'est ce que je remarque aussi... je ne suis pas dans le rêve...


- Je ne vous parle pas de rêve, X-Mom. Mon fils était "condamné à la naissance". Pourtant, je n'ai jamais arrêté pendant 8 ans de lui montrer à marcher et à parler. J'ai frôlé la dépression à plusieurs reprises, mes amis me suppliaient de lâcher prise et ma femme est partie... Mais j'ai toujours cru en lui et un jour, il a réussi à marcher et à parler. Et j'ai continué à enseigner la musique et il a "attrapé" ma passion...


- Wow... si seulement ça pouvait arriver à X-Boy...


- Pourquoi ça ne lui arriverait pas? Je vous le répète. Le jour où vous allez le traiter normalement, il va s'épanouir et vous allez le comprendre. Le jour où vous allez sortir sans vous soucier du regard des autres, il vous remerciera. Vous l'aimez, c'est déjà énorme comme cadeau qu'il reçoit chaque jour...


- Mmm. (Je n'ai pas pleuré... je voulais bien savourer l'instant...) Mais Pierre, qu'est-ce que je fais quand les autres le dévisagent et me regardent avec un air bête?


- Vous les dévisagez et les regardez bêtement.


- Ben voyons!!! Ça ne se fait pas!!! Vous faites ça, vous?


- Oh que oui!!! Et ça clôt la discussion. En fait, les gens ont deux choix: ou ils vous posent des questions pour s'informer, car ils ont "peur de la différence" ou ils continuent leur chemin en silence. Ce qu'il faut retenir, c'est que X-Boy perçoit le regard des autres et surtout, votre réaction. Si vous vous foutez des réactions négatives, il apprendra que ceux qui sont négatifs ou peureux ne méritent pas votre attention. Que les gens ouverts sont importants et que c'est vers eux qu'il doit se tourner. Tout comme vous. X-Boy a le DROIT et le DEVOIR de vivre NORMALEMENT, de sortir partout où les familles "normales" vont, de s'exprimer librement et d'être respecté au même titre que tous les humains de la terre. Ça fait moralisateur, hein?


- ... En fait, ça me fait un bien immense. Parce que je crois que j'ai besoin de savoir comment les autres parents ont affronté "l'extérieur" et je n'ai dans mon entourage, que des amis qui ont des enfants du même âge que X-Boy... J'ai besoin d'apprendre des "plus vieux", comme on dit...


- Vous me traitez de "vieux"? Hahahah.


On a beaucoup ri.


- Mais Pierre... vous avez des trucs pour faire "parler" X-Boy?


- Bien sûr. Quel est son instrument préféré?


- Euh... je ne sais pas...


- C'est ce qu'il faut trouver. Chaque enfant a un son qui le "réveille" et qui le fait réagir. Et c'est grâce à ce son que vous pourrez avoir son attention et lui montrer des sons "réels". Il faut lui prendre les lèvres, les faire bouger comme les vôtres lorsque vous prononcez. Quand vous parlez, prenez sa main et mettez la sur vos lèvres. Faites-lui sentir l'air qui sort. Collez votre bouche contre la sienne... Il faut lui "montrer" les mécanismes... Et répétez "ses sons" en lui disant que oui, ce sont des "sons", mais que vous voulez le comprendre et qu'il doit en faire "d'autres" comme les vôtres... Je ne vous dis pas que ça fonctionnera en quelques mois... Ça peut prendre des années... Mais il y arrivera.


Pendant que je l'écoutais, je faisais de la lambada sur le banc à tenter de chasser les milliers de guêpes qui m'attaquaient inlassablement...


- X-Mom... les guêpes... elles aussi elles vous dérangent...


- MAIS LÀ!!! Elles m'attaquent et elles ne vous attaquent pas!!!!!!!!!!! Je vais virer folle!!!!!!


- Elles ne vous attaquent PAS. Elles veulent votre nourriture.


- Mais je ne veux PAS leur en donner!!!


- Alors laissez-les passer. Laissez-les tournoyer, elles s'en iront d'elles-mêmes. Et elles ne vous piqueront pas.


- Vous voyez, c'est cette nonchalance que je ne réussirai jamais à atteindre. Vous n'avez même pas l'air de vous rendre compte qu'il y a des guêpes PARTOUT!!!


- Je ne leur accorde pas d'attention. C'est tout. Hahahah, vous êtes adorable, X-Mom.


Je voudrais bien savoir pourquoi il a éclaté de rire à ce moment-là.


- Si vous voulez, je voudrais bien donner un ou deux cours de musique à X-Boy. Voici mon numéro et je trouverai "son" instrument. Là, je dois retourner à mes frites. X-Boy est un garçon merveilleux et magnifique. Et vous, vous êtes à un doigt d'être en paix avec votre fils...


Il est retourné derrière ses fourneaux aussi rapidement qu'il est apparu à mes côtés.


Les guêpes ont quitté mes frites, j'avais fini mon repas, il faut dire. X-Boy continuait à jaser et alors qu'on se dirigeait vers le stationnement, Pierre est arrivé en courant avec un cornet de crème glacée pour X-Boy.


- Mais il est intolérant au lactose. Et moi aussi!!!


- Oh... vous voyez, vous êtes à un doigt de la perfection, X-Mom et X-Boy! À bientôt!


***


Avant de reprendre la route (et le trafic), j'ai pris un long moment pour m'asseoir sous un arbre avec X-Boy et lui dire à quel point je l'aime. Pour lui montrer les couleurs des feuilles et lui expliquer que parfois, dans la vie, on croise des gens qui portent des ailes invisibles...


Et que ce Pierre, on allait le revoir...


Très bientôt...