lundi 24 novembre 2014

Se libérer les souvenirs...

Il y a un événement qui me tourmente parfois, entre 2h00 et 3h00 du matin, alors que je me réveille en sursaut. Et je crois qu'il sera bon de le décharger dans ce billet, n'est-il pas? Oui.


***


Fin septembre, une journée splendide, un vendredi et surtout, une pédagogique. Pas question de rester à l'intérieur avec X-Boy qui ne demande qu'à voir du pays. (Je fais de la projection, mais il ne parle pas, je peux tout lui mettre sur le dos! gnark gnark!)


Je décide donc, tout de suite après le diner (qui dure une heure car X-Boy mange à la vitesse des escargots somnolents, imaginez...) j'embarque le petit dans la camionnette et vroum, nous roulons vers Chambly, ville "fort" (ou ville-phare? je joue dans les grandes ligues, hein Mongrain?) qui possède une jolie promenade sur les bord de la rivière. Dans l'auto, Coldplay se fait aller le nouveau disque, je chante et X-Boy hurle de bonheur (ou de douleur aux oreilles?).


Je me stationne, sors le petit et son attirail et nous partons nous balader. Plusieurs petites boutiques se trouvent sur notre chemin mais voilà qu'aucune n'a de porte "adaptée" au fauteuil du petit. Tous les vieux bâtiments sont dotés d'escaliers qui me font pester, X-Boy n'est plus un poids plume, même s'il jacasse comme une pie. (rhô, je suis en forme!) Déçue de ne pouvoir faire du lèche-vitrine, je fais ma langue sale (aaaah) contre cette ville qui s'autoproclame touristique (et qui l'est) et qui n'offre aucune option pour les roulants (et les croulants, tiens!) et j'emmène le gamin regarder la rivière qui s'énerve dans les rapides.


Tout autour, les gens se reposent sur des couvertures, profitant des derniers rayons de soleil chauds avant l'automne. D'autres amoureux se bécotent sur des bancs publics (Brassens l'aurait chanté!) et quelques âmes solitaires errent ça et là. X-Boy hallucine à regarder l'eau qui fait des bouillons blancs et je regarde le ciel bleu en me disant que oui, ça se peut, des belles journées tranquilles avec mon gamin. Que oui, il fait beau, on en profite et ça fait vachement du bien de ne faire "rien" ensemble. Je pense à X-Man qui est au boulot et je m'ennuie de lui. Je m'aperçois qu'il est rare que je pense à X-Man de "cette façon". Je ne m'arrête que trop peu souvent pour penser à lui, à nous deux, à nous trois, à notre famille qui grandit et s'épanouit. Les violons commencent à me chatouiller les neurones et je décide de déplacer X-Boy, qui tente d'escalader un muret pour se jeter à l'eau, vers un banc bien installé entre des buissons et des rosiers. Avant de devenir trop fleur-bleue, tsé. X-Mom a de l'orgueil. (ah?)


Bien assise avec X-Boy, j'observe deux dames plutôt âgées qui rigolent sur le banc à quelques mètres de distance. X-Boy hurle et rigole, elles nous saluent de la main. Je serre X-Boy très fort dans mes bras et je lui dis que je me sens chanceuse de l'avoir dans ma vie. Lui et son étrangeté, sa particularité qui me donne des maux de tête, mais surtout des mots de cœur. Je lui annonce qu'il est déjà 16h00 et que c'est le temps de rentrer. Il me sourit tandis que je l'installe dans sa poussette. Zou, je l'installe dans la camionnette et c'est un départ.


Je roule deux mètres puis devant moi, j'aperçois deux cyclistes qui roulent vers l'entrée du parc. Un couple dans la cinquantaine, tout vêtus comme Lance Armstrong. J'explique à X-Boy que les vélos ont une piste cyclable qui passe au bord de la rivière quand je vois l'homme brusquement sur le sol. Sa roue avant ayant accroché d'une façon violente un tout petit rempart de béton qui délimite le chemin asphalté de la piste cyclable. Je freine brusquement. Je sors de la voiture à toute vitesse, car ce n'est pas qu'une vulgaire chute de vélo. C'est un grave accident. Sa femme lance son vélo au sol et arrive en même temps que moi devant son mari. Il est prisonnier de son vélo qui est sous lui et c'est là que je vois son casque.


Fendu au niveau du front, le casque n'a pas tenu le coup. Le crâne de cet homme s'est fendu aussi, le sang coule sous sa tête à une vitesse qu'on ne peut calculer. Sa femme est couchée sur lui et elle crie son nom.


- Ok. Madame, avez-vous un cellulaire? Il faut absolument appeler le 911!


J'ai dit ça froidement, mais dans ma tête, ça bouillonnait autant que le sang sur le sol...


- Hein, ah oui!!!


Elle me tend son I-Phone et comme je n'ai aucun talent avec les bidules électroniques, je ne suis pas capable de le mettre en marche. À cet instant, un passant arrive en courant et voit mon désarroi. Il m'enlève le téléphone des mains et compose le 911.


J'interroge la femme:


- Ok. Madame? Est-ce que votre mari est diabétique? Cardiaque? Épileptique? A-t-il un problème de coagulation sanguine?


Elle répond à la négative à toutes mes questions et le passant me demande si je suis médecin.


- Hein?? Non.. tellement pas...


- Vous vous y connaissez?


- Hein? Non... dites au 911 que ça presse. Vraiment.


(Je ne sais pas d'où me venaient ces questions médicales, je ne regarde pas Dr House ni rien.. Peut-être le fait que je passe trop de temps dans les hôpitaux?)


La femme pleure et panique. Le sang commence à sortir par bouillons du nez de son mari. Ça ne va pas. Mais pas du tout. Je répète au passant de dire que c'est urgent.


L'homme est complètement inconscient. Il respire très difficilement et ce qui m'a marqué (et qui me hante encore), c'est le son de sa respiration ou de sa tentative de respirer. Comme un souffle, un grognement, un son animal.


Une foule de personnes s'amasse tout autour. Je remarque que la tête de cet homme est inclinée vers l'avant dans une petite pente... Je cours à la voiture et revient avec une grosse couverture imperméable que nous utilisons pour X-Boy. Je la tends à la femme et lui suggère de la mettre sous la tête de son mari.


- Il faut lui relever la tête... il y a du sang qui lui sort par le nez...


Elle n'avait pas remarqué et elle se met à crier son nom. Elle l'implore de "rester avec elle". De ne pas partir.


J'ai le cœur en mille miettes. Toujours pas d'ambulance ni de policier.


Puis, un son sourd provient de cet homme. Un gros gaz. Sa femme le rassure:


- Ce n'est rien, chéri. Vas-y, tu peux péter, c'est normal.


Elle lui caresse la hanche en lui disant de laisser aller ses gaz, s'il en a encore.


C'est là que je suis devenue très nerveuse. Car il était en train de se vider, littéralement. Ce n'étaient pas que des gaz. Et dans mes connaissances de trauma (de mémoire), quand les sphincters lâchent, ce n'est vraiment plus le temps de rigoler.


J'ai hurlé au passant de répéter au téléphone que c'était VRAIMENT URGENT.


Il m'a alors demandé d'aller au coin de la rue et d'attendre les secours.


- Mais je ne peux pas. J'ai un enfant handicapé dans mon auto. Je ne peux pas rester... Je dois y aller.


La foule s'est resserrée et je me suis sentie très mal. Une passante s'est mise à s'énerver et à "décrire" la scène. Je lui ai dit de se taire et de continuer son chemin. Et je me suis dirigée, impuissante, vers la camionnette où m'attendait patiemment X-Boy, inconscient du drame qui se jouait depuis une dizaine de minutes tout près de lui.


Le passant m'a demandé si je voulais récupérer ma couverture. Je lui ai fait signe que non et j'ai mis la clé dans le démarreur.


Je me suis retournée vers X-Boy qui me souriait, tranquille.


- Mon bonhomme, merci d'avoir été aussi patient. Je ne t'avais pas oublié. Mais il y avait une urgence. Comme je ne peux rien faire de plus, on va rentrer, d'accord? Et j'ai donné ta couverture au monsieur, d'accord? Tu ne m'en veux pas? Elle a peut-être sauvé une vie, tu sais...




Quand j'ai tourné le coin, j'ai vu au loin des gyrophares.


***


J'ai roulé jusqu'à la maison sans me rendre compte que j'étais au volant. J'avais même oublié de mettre ma ceinture de sécurité. La tête dans un étau, le moral incertain. J'ai installé X-Boy par terre parmi ses jouets et j'ai commencé à trembler. De tout mon corps. L'adrénaline qui tombe.


J'ai téléphoné à mes parents et j'ai commencé à pleurer. À me questionner. À être indignée, en colère, fâchée et découragée.


Pourquoi étais-je allée là cet après-midi, hein? Je n'aurais pas pu aller au parc à côté? Pourquoi fallait-il que X-Boy soit avec moi? À quoi j'ai pensé de le laisser seul dans la voiture? Il aurait pu faire une crise d'épilepsie et je n'aurais pas été à ses côtés? Pourquoi "moi", je n'ai pas le droit à une journée belle du début jusqu'à la fin, hein? Il faisait tellement beau, on avait eu tellement de plaisir? C'est quoi le message? La claque dans le visage? La réalité cruelle? Je dois comprendre quelque chose? Je ne suis pas assez consciente de la réalité, peut-être?


À quoi ça sert un casque de vélo si ça brise? (à ça, justement...) Pourquoi il n'a pas freiné devant le petit bord de béton? Est-ce que j'aurais dû prendre le numéro de téléphone de la dame et embarquer son vélo pour aller lui mener chez elle? Est-ce qu'ils vivent près d'ici ou ils étaient en vacances? Est-ce qu'ils ont quelqu'un pour les héberger? Est-ce que c'est la vue de ma camionnette qui les a distrait? Est-ce qu'il va survivre? Est-ce qu'il va être paralysé? Est-ce que sa femme sait à quel point c'est grave, un traumatisme crânien? Est-ce qu'elle sait à quel point c'est complexe, une personne handicapée?


Mes parents m'ont écouté avec beaucoup d'empathie. Et ils ont joué leur rôle de parents lorsque j'ai commencé à déraper.


- C'est ça, hein! C'est un signe? X-Man va avoir un gros accident? X-Boy va avoir un cancer et il va mourir? VOUS allez avoir un accident de voiture? Je ne dois plus faire de vélo??? Je n'ai pas le droit d'être heureuse trop longtemps, faut absolument que je vive des traumatismes à chaque semaine???


À toutes ces phrases, j'ai eu droit à des réponses négatives. Et à des "tu te calmes, tu respires et tu as le droit d'être en état de choc. Ça va passer avec les heures. Donne-toi le temps". J'ai raccroché et j'ai préparé le souper de X-Boy. Puis le bain, puis le dodo.


Puis X-Man est rentré du boulot.





- X-Mom... j'ai eu un accident avec ma voiture...


- ??? TU ME NIAISES??? Mes parents t'ont appelé pour te dire de me faire une mauvaise blague?


- ??? De quoi tu parles... Ben voyons... ne pleure pas comme ça... Ce n'est qu'un petit accident... Je n'ai rien, l'auto non plus... juste un accrochage dans un bouchon avant le pont...


- JE LE SAVAIS QUE TU AURAIS UN ACCIDENT!!! C'était écrit dans le ciel... je n'ai pas vécu tout ça pour rien...


- "Tout ça"? De quoi tu parles, X-Mom?


- Prends-moi dans tes bras et dis-moi que tu ne mourras pas...


- Ben voyons... je ne mourrai pas... enfin un jour, mais pas tout de suite...


***


Ce soir-là, nous avons regardé la télévision ultra-collés l'un contre l'autre. Juste à ma respiration, X-Man savait quand je revoyais les images de l'accident.


Il me serrait alors plus fort et me murmurait que tout allait bien.


- Mais X-Man, c'était un couple.. Ils allaient peut-être juste pique-niquer sur le bord de l'eau, tu sais? C'est trop horrible... Ils venaient peut-être juste de se rencontrer, ils étaient amoureux fous et il allait peut-être la demander en mariage ce soir, après leur promenade en vélo?


- Tu as beaucoup d'imagination... Mais la réalité, c'est qu'il est tard et que l'on va aller au lit... d'accord?


- Mmm.


- Et non, X-Boy ne va pas mourir dans son sommeil. D'accord?


- Mmm.


***