vendredi 22 mai 2015

Être soi sans le savoir

Depuis que je sais que je suis hypersomniaque diurne et que je prends du Concerta pour me garder réveillée le jour afin de dormir sans trop rêver la nuit, je rêve moins le jour et je constate comment c'est de vivre dans la réalité.

Cela peut vous paraître abstrait, mais lorsque l'on est dans un état presque constant de somnolence, on a tendance à trop entendre, trop voir, trop ressentir et à ne plus savoir comment se réfugier ailleurs que dans le sommeil.

Depuis octobre, donc, j'ai appris à garder les yeux ouverts. Et à bouger à nouveau. À agir, à réagir et surtout, à comprendre ce que c'est que de dépenser beaucoup d'énergie pendant la journée. Depuis mon adolescence, je me rends compte que je vivais bien souvent au bout de mes réserves d'énergie et cela me faisait voltiger dans les hautes sphères émotives au quotidien. J'ai longtemps pensé que j'étais dépressive, bipolaire même schizophrène, à cause de tous ces matins où je me réveillais en entendant des voix, des pas et où je n'arrivais pas à ouvrir les yeux malgré toute ma volonté. Être hypersomniaque, c'est être un peu prisonnière de son imaginaire, de cette ligne difficile à tracer entre le sommeil et le réveil avec un grand "R".

J'écrivais beaucoup avant octobre 2014. Je me rends compte que j'écrivais pour me sentir en vie. Pour voir en mots que je ne dormais pas, que j'existais autant dans ma tête que dans mes mains. J'avais ce besoin indescriptible de raconter ma vie afin de ne pas la confondre avec un cauchemar ou un rêve sans fin? Je ne sais pas.

Ce que je sais, c'est que ce trouble neurologique est si mal connu dans notre société que je me sens comme une extra-terrestre lorsque j'y réfléchis. Les gens qui me disent que c'est "normal" d'être fatiguée pendant la journée ne savent pas à quel point être "fatiguée" pour moi était comme un état semi-paralytique. Ça me pesait dans les mains, dans les joues, je me sentais lourde comme une pierre. Trop dormir en ne dormant jamais profondément, faire 25 rêves par nuit, ne pas se réveiller même malgré le son d'un réveil-matin qui hurle, c'est une expérience déstabilisante. Et très solitaire.

Ce qui me fait penser à X-Boy. X-Boy est le seul de sa race au Canada. Il ne rencontrera jamais un ami avec qui jaser de sa condition. Il ne parle pas, de toute façon.

Et c'est ce qui m'a donné envie d'écrire, ce matin.

Le silence. L'apprentissage de la parole. L'apprentissage de la communication. Comment un beau matin, un son devient un mot, un geste une demande, un câlin une émotion réelle.

X-Boy parle de plus en plus avec son corps. Les câlins serrés-serrés qu'il peut me faire pendant une vingtaine de minutes ne sont plus un hasard ou un besoin d'affection primaire. Les sourires qu'il m'offre, les sons qu'il me crie en plein visage expriment de plus en plus ses émotions. Hier soir, alors que je passais au hachoir ultra-puissant des amandes afin de les réduire en farine, il hurlait de rire (c'est un son marrant, un hachoir!) et il me regardait en tapant des mains avec une énergie impressionnante. Il s'est même accroché après mes cuisses pour se hisser sur le comptoir. Quand je me suis penchée à son niveau, il a souri, a mis ses mains autour de mon cou et il m'a assisté dans la mouture de farine. Quand il a commencé à être trop excité et à donner des coups de pied sur tous mes plats et autres, je l'ai grondé et je lui ai dit que s'il voulait rester avec moi, à "ma hauteur" jusqu'à la fin du sac d'amandes, il devait prendre ce petit plat rouge dans ses mains et calmer ses ardeurs en le serrant très fort. Ce qu'il a fait. Il a trituré le plat de plastique de toutes ses forces, a arrêté de "kicker" partout de façon désordonnée (tsé un gamin de 7 ans sur un minuscule comptoir, c'est grand!!!) et a tendu la main vers le manche du mixeur/hachoir en me regardant. Je l'ai laissé saisir "la bête" et il a ri aux éclats.

De plus en plus, je peux faire des "activités" de la vie quotidienne AVEC X-Boy. Il m'observe, me suit à quatre pattes et même en marchette. Je ne croyais jamais vivre de telles petites parcelles de vie "normale" avec lui.

L'autre matin, alors que je ramassais des jouets par terre, il s'est avancé avec sa marchette pour me saisir le haut du dos. J'ai hurlé de surprise, car jamais auparavant X-Boy ne se déplaçait en marchette "vers nous" si nous n'avions pas un jouet dans les mains. Je croyais que c'était X-Man qui me faisait un chatouillis et c'est quand je me suis retournée que j'ai vu devant moi, X-Boy les deux bras grands ouverts, le sourire large comme le ciel. Quand je lui ai donné un câlin, j'ai eu peur d'être endormie. Que ce soit à nouveau un épisode de paralysie du sommeil duquel je me tirerais avec difficulté.

Mais non. C'était bien réel, cet épisode de notre vie. Ça s'est passé un samedi matin, alors que X-Man lisait le journal et assistait à la scène, aussi surpris et touché que je pouvais l'être.

- X-Boy vient nous voir, même en marchette, X-Mom!!!

- Oui. Tu imagines?

- Wow.

C'est la réalité qui prend le dessus. X-Boy qui se réveille lui aussi d'une longue torpeur où toutes les informations se sont stockées dans son corps et son coeur sans qu'il n'ait jamais pu réellement les communiquer.

C'est X-Boy qui nous dit enfin: je ne sais pas ce que je peux faire, mais je sais ce que je veux être.

Je veux être X-Boy et comme ma mère, je veux bouger.