Ce lundi, j'ai visité une salle d'attente de clinique médicale afin de me faire vérifier certains organes qui défaillaient depuis quelques temps. X-Boy étant en répit chez Philou, j'en ai profité pour vivre l'expérience d'une étude de mœurs sans faire des guiliguilis, donner et redonner une gobelet de jus et tout autre tâche connexe directement liée avec la présence d'un X-Boy dans une salle d'attente.
J'en ai eu pour mon argent. Gratuitement en plus. J'adore les salles d'attente. Ça grouille de matière à écriture... Héhé.
À l'entrée de la clinique, il y avait trois personnes devant moi qui faisaient la file pour prendre un rendez-vous "sans rendez-vous". Concept fascinant. Les mêmes questions revenaient: est-ce qu'il y a beaucoup d'attente? Est-ce que vous passez les enfants en premier? Est-ce que je peux aller magasiner en attendant?". (Précision: la clinique se trouve au milieu d'un centre commercial haut de gamme! Ouh.)
Je rêvais d'être la secrétaire pour répondre:
1- Est-ce qu'il y a beaucoup d'attente? REGARDE DANS LA SALLE, TSÉ!!! Y'A 30 PERSONNES ET T'ES LA 31e...
2- Est-ce que vous passez les enfants en premier? NON. SI VOTRE ENFANT EST SI MALADE QUE ÇA, ALLEZ À L'URGENCE...
3- Est-ce que je peux aller magasiner en attendant? JE RÊVE OU QUOI??? SI VOUS ÊTES ASSEZ EN FORME POUR MAGASINER, QU'EST-CE QUE VOUS FAITES ICI???
Mais bon, je ne suis pas secrétaire. Quoique.
***
Bien assise entre une ado-aux-cheveux-rouges-et-en-gougounes et un latino-qui-soupirait-aux-trois-secondes, j'ai commencé à compter les "tabloïdes humains". Oui oui, les tabloïdes: ceux et celles qui sont vissés à leur tablette. La lutte était serrée entre les tabloïdes humains et les pouceux: ceux qui ont le pouce vissé à leur i-phone-i-pod-i-have-no-life. À ma droite, il y avait deux enfants de moins de trois ans qui avaient chacun dans leurs mains, un mini-lecteur-de-dvd et qui avaient, évidemment, des écouteurs sur les oreilles. Les mères? Le cou penché sur leur tite-bébelle électronique. En face de moi, une yogi-branchée. Portant des vêtements "Lululemon" de la tête au pied. Avec une tablette écolo? Pouahaha.
À gauche, il y avait les tits-vieux. Allez savoir, les gens se regroupent par âge? J'aurais dû aller avec eux. Parce que dans mes mains, il n'y avait rien encore. Hiiii, comment je fais pour survivre plus que deux minutes sans gogosse électronique dans les mains??? Sacrilège social, hein?. La réponse est simple: je n'en ai PAS, de gogosse. Je n'en veux PAS. Je n'en aurai PAS. Pas de cellulaire en 2013? Comment je fais? Je demande à n'importe qui à mes côtés si urgence il y a. Je n'ai qu'un numéro de téléphone? Oooouh. Old school la fille.
Bref, dans la salle, en plus de tousser, moucher, pleurnicher, ça pianotait sur des tits-claviers. Le plus marrant: l'homme d'affaires qui s'est assis plus loin à ma gauche (le clan des jeunes était plein). Son téléphone a sonné. On a tous entendu une voix de femme: "Allô mon chériiiii". TOUS les yeux se sont tournés vers lui. Gêné, il a baissé le ton et a dit à sa femme de parler moins fort parce qu'il était à la clinique...
J'ai éclaté de rire. Absurde vous dites? Totalement!!! Le mec a continué sa conversation en parlant tout bas... Y'a personne qui t'a expliqué que tu pouvais enlever le "mains libres"??? Ou t'es juste content de montrer que t'as une femme? Ça se peut. Tout se peut.
Avant de m'étouffer de rire, j'ai détourné le regard vers les jeunes. Oh, deux extra-terrestres. Un homme dans la jeune vingtaine qui lisait un LIVRE!!! Et une jeune du même âge, tout de léopard vêtue, sans blague. Que lisaient-ils donc? Quel est le livre qu'il "faut" lire en public ces temps-ci pour être "in"? Fifty Shades of Grey! Dans le mille. J'ai failli mourir de rire, encore une fois. Les paris se sont ouverts dans mon univers secret: vont-ils finir ensemble à la fin de la journée pour mettre en pratique leur lecture cochonne? Rfrfrfrrr.
Une famille est entrée à ce moment. Je ne sais pas de quelle nationalité, mais ils étaient TOUS là. La mère, le père, les trois enfants, la grand-mère, l'oncle et la tante et probablement une cousine qui n'avait rien à faire cette journée-là. Ça rentre en groupe et ça parle fort. (La nouille au bout du fil de l'autre a dû monter le ton! Hahaha.) La famille baragouine un français original tandis que la secrétaire tente de comprendre QUI est malade dans tout ça. Ah, ce sont les enfants? Ah, ils toussent. Oh, mais le petit garçon tousse VRAIMENT fort. Oh oh, il vomit. Directement sur le tapis. Aux pieds d'un patient qui n'osera plus bouger pendant 40 minutes. La famille ramasse le petit, le cache dans la toilette et tente de se trouver une place pour "huit" dans une salle bondée. Bonne chance.
Le vomi reste là, bien tranquille. Personne n'avise la secrétaire qui n'a pas pu voir le spectacle. Ni le sentir. J'observe le mec qui a les deux pieds à un centimètre de la flaque. Il ne bouge plus. Il est tétanisé. Personne ne bouge.
Lasse de cette nonchalance, je me dis: Bon, c'est pas vrai que tu vas encore t'occuper des autres alors que tu viens pour toi-même aujourd'hui. Dah.
J'ai sorti de mon sac une grosse bd de Pedrosa ("Portugal" est le titre. Un chef-d'oeuvre total. Je suis amoureuse de.) et j'ai plongé dans ces cases remplies d'accent portugais et de couleurs de soleil. Après 30 minutes, j'ai levé les yeux vers la "vomi-flaque". Elle était encore là et se prélassait sous les néons, quoi. J'en ai eu marre. Je me suis levée d'un bond, j'ai interrogé mes voisins de chaises de plastique. Personne n'est allé aviser? Non. Franchement. Vous êtes muets? Vous êtes inconscients? Imbéciles? Ça vous tente d'attraper le virus du petit? Payez-vous la traite, mettez-vous donc la main dedans...
J'ai déposé Pedrosa sur "ma" chaise... pas question qu'un membre du "Clan des huit" me vole ma place. Ça faisait deux heures que je la réchauffais. Je me suis rendue au bureau de la secrétaire. Elle avait le nez dans ses dossiers.
- Mmm. Mmm. Madame?
- Oui?
- Il y a un enfant qui a vomi sur le tapis dans la salle d'attente.
- Oh. Je vais appeler le concierge.
- Le concierge? Ça va être long?
- Aucune idée. Je ne sais pas où il se trouve...
- C'est pas très sain de laisser du vomi "à l'air"... Vous ne pouvez pas rouler le tapis et le mettre ailleurs? Y'a un monsieur qui ne bouge plus depuis...
- Je vais voir ce que je peux faire.
Je suis retournée à Pedrosa. "Je vais voir ce que je peux faire". Ce que tu "veux" faire... Je me suis promis que non, je ne roulerais pas le foutu tapis. Y'a des limites à faire de l'overtime.
Ça aura pris dix minutes avant que la secrétaire ne roule le tapis et le dépose près du mur. Le concierge est arrivé vingt minutes plus tard et il a demandé, bêtement, si c'était "tout"? TOUT??? Tu veux quoi au juste??? Une rivière de vomi pour justifier ton déplacement?
L'homme qui ne bougeait plus a osé un timide: "Euh, il y a quelques gouttes ici". Des gouttes "hors-tapis". Le concierge a "moppé" les tites-gouttes puis est reparti en sifflant. L'homme qui ne bougeait plus a bougé les pieds. Une crampe, mononcle? Pauvre toi.
Les infirmières continuaient d'appeler les patients un par un au triage. Ce fut mon tour. On m'a ensuite installée dans la salle numéro 5. J'ai attendu une heure de plus. Une heure à lire Pedrosa et à me demander pourquoi j'étais là, au juste? Je m'en suis souvenue quand le docteur est arrivé. Je n'étais pas là pour lire? Ah. Dommage.
Je suis repartie avec une prescription d'antibiotiques et une fierté incomparable d'avoir fait la rebelle dans la société.
Oui.
J'ai lu un livre "papier" pas "in", pas "sexe", pas "violence", et surtout pas numérisé. J'ai voyagé au Portugal grâce à des mots et à des images et en rentrant chez moi, j'ai décidé d'écrire un digne merci à Pedrosa.
Par courriel, je sais quand même reconnaître l'utilité de la technologie.
Pedrosa m'a répondu.
Et il m'a écrit les plus belles lignes qui soient:
En m'écrivant qu'un jour de printemps, de l'autre côté de l'Atlantique, dans cette salle d'attente, Portugal vous a fait oublier pendant quelques heures la peur et la peine, vous m'aidez à sentir que d'un bout à l'autre de ce tout petit vaste monde, les livres participent à faire de nous des humains, nous relient. Vous, et moi, et d'autres, pouvons partager quelque chose d'indicible, qui se cache dans les mots, la musique, la beauté.
Je suis amoureuse de.
Y'a pas d'autres mots.
(X-Man n'est pas jaloux. Je suis souvent amoureuse de. Et toujours de lui.)
C'est vrai que Pedrosa vous a vraiment répondu ça ou bien c'est votre fabuleux imaginaire qui délire?
RépondreSupprimerParce que si c'est vraiment vrai, alors, il faut absolument que je lise ce mec.
Oui, Pedrosa m'a réellement répondu cela!!! Il FAUT que vous lisiez "Portugal", alors! Héhé.
SupprimerSérieusement, je ne m'attendais pas à ce qu'il me réponde, j'avais lancé une gentille bouteille à la mer. Le jour même, j'ai reçu un long courriel qui déborde de phrases toutes aussi géniales que celle-ci... Vous pouvez être sûre que j'ai imprimé ce courriel et qu'il est sur ma table de chevet...
Mais oui, je vais le lire! ;o)
RépondreSupprimerC'est d'une grande délicatesse et simplicité de répondre si joliment à une lectrice.
Et si jamais vous vouliez lire mon modeste blogue, je voulais vous envoyer une invitation mais je ne trouve pas votre adresse courriel.
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SupprimerTrès joli billet!
RépondreSupprimerChère X-Mom,
RépondreSupprimerJe vous ai envoyé une invitation!
J'ai vu!!!! Je vais lire ça avec attention! Merci beaucoup!!!
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