Aujourd'hui, c'était la journée-photo à l'école de X-Boy. On demandait à 4 ou 5 parents de faire du bénévolat lors de cette journée. J'avais donné mon nom et j'ai été appelée. Vous me direz: ça ne devait pas se bousculer aux portes... Aucune idée, mais j'aime l'idée d'être sélectionnée. Ça me remonte l'ego de non-travailleuse-rémunérée.
Ainsi, je me suis présentée à l'école de X-Boy à 13h00, alors que lui, il y était déjà depuis 12h45. Pour ne pas défaire sa routine, je l'avais fait se rendre en autobus. Et entre vous et moi, je sauve mes lombaires. Chut.
En compagnie d'une autre mère et d'un père (oui oui, un PÈRE!!!), on nous a dirigé au gymnase là où le photographe faisait son boulot. Sur une petite table se trouvaient la liste des groupes, un bac de lettres et de chiffres à accrocher au tableau noir qui se retrouve devant le groupe (vous savez, comme dans notre temps!!!) et les noms des élèves sur des papiers avec leur code barre respectif. C'est là où j'ai encore eu un peu mal à la surtechnologie. "C'est plus rapide pour le photographe: il scanne le code, le nom de l'enfant apparaît et ça se classe automatiquement dans le bon fichier". Beurk-e. Je m'ennuie du bon temps où on utilisait un marqueur, un crayon, et notre cerveau, tiens.
Bref, nous nous sommes séparés les tâches. J'étais en charge du tableau noir en tissu avec les lettres à changer (ça me faisait penser au "Lite-Brite"!) et d'installer les enfants sur le banc pour la photo de groupe. L'autre mère dirigeait ensuite les enfants vers l'endroit où ils seraient photographiés individuellement, puis le père s'occupait d'aller chercher les groupes dans les locaux respectifs.
Malheureusement, X-Boy avait eu sa séance cinq minutes avant mon arrivée. J'étais un peu déçue... Mais bon.
Le premier groupe est arrivé. Un groupe de 5 ans. Des enfants "TED" ou autres. En clair, des enfants sur qui "ÇA ne paraît pas". Ils étaient hyper-mignons et assez disciplinés pour bien s'asseoir sur le long banc. Les photos individuelles se sont prises à la vitesse de l'éclair. Le photographe était charmé, puisque paraît-il, le matin fut très très pénible et il avait pris énormément de retard...
Le deuxième groupe s'est pointé. Six enfants dans des fauteuils roulants. Zoup, moi et le père avons tassé le long banc, puis nous avons stationné les six enfants un à côté de l'autre. Ils étaient multi-handicapés et c'est à ce moment que j'ai commencé à rire. De bon coeur.
Ici, ne soyez pas sensibles, je ris des situations. Pas des enfants. Je les respecte de tout coeur, mais c'est vraiment marrant de faire des photos avec des enfants "comme ça".
Au centre se trouvait une fillette très enjouée qui portait un chandail jaune soleil. Elle rayonnait, sans mauvais jeu de mots. Le hic, c'est que ses bras, eh ben, elle ne les contrôle pas. Alors elle a balancé une gifle du revers de la main à sa copine tout de rose vêtue qui avait "déjà" l'air très contrariée. J'ai éclaté de rire. La prof, sans même avoir regardé la scène s'est esclaffée: "Fille-Soleil vient de gifler Fille-Ronchon"? J'ai répondu oui. J'ai eu droit à plein de sourires des autres enfants. Paraît que ça arrive tout le temps.
Ensuite, il était impossible de faire regarder le grand blond "droit devant". Sa tête n'avait pas l'air de connaître cette option, quoi. La prof a dû apporter un mini-radio derrière la tête d'un autre afin qu'il cesse de faire des oui-non à la vitesse de l'éclair. Puis, l'éducatrice a apporté un jouet-mou à un autre garçon qui ne savait plus quoi faire avec ses mains. Enfin oui, il savait justement trop bien se mettre les doigts dans le nez. Rhôôô. Tout pour me plaire, quoi. J'avais le sourire jusqu'aux oreilles.
Le photographe est arrivé à ce moment, alors qu'à plusieurs, nous tentions de faire en sorte qu'il y ait une sorte de cohésion dans ce groupe. Il a soupiré. J'ai levé les yeux. Il avait l'air contrarié. Il a interpellé plutôt froidement la professeure:
- S'cusez mais la fille en jaune, est-ce qu'elle peut baisser ses bras?
J'ai verdi d'incompréhension. Était-il vraiment sérieux? Ce n'est pas évident que cette enfant a une forme lourde de paralysie cérébrale???
La prof a haussé les épaules. Elle a répliqué:
- Euh.. ce ne sera pas facile. Plus elle est contente, plus elle se crispe.
Je n'aidais pas la situation, puisque je lui souriais très vivement, à cette fillette-soleil...
Le photographe a ronchonné:
- Ouain.. ben ça ne la met vraiment pas en valeur.
Il m'a regardé. J'étais hébétée et comme j'affichais un sourire ardent à défaut de le mordre, il a cru que j'abondais en son sens.
- X-Mom... ça ne sera pas la meilleure photo, celle-là. Tu crois qu'on pourrait lui installer un 2X4?
- Avec une grosse chaîne pis un cadenas aussi? (Tu la veux où ta gifle consciente, le chauve???)
- Hahaha... oui, un paquet de chaînes à truck... rhâ rhâ rhâ.
J'ai soupiré. Je ne pouvais pas croire que j'avais entendu ce genre d'inepties. Je me suis concentrée sur les enfants, puis le photographe est parti les photographier en individuel.
Une dizaine de minutes plus tard, j'ai accueilli un deuxième groupe. Des multi-handicapés, mais marcheurs. Et pour marcher, ils marchent. Certains très grands et longilignes, d'autres trappus et costauds, ils marchaient vite et partout. J'ai ri. C'était juste tellement beau de les voir envahir le terrain sans pudeur ni autre préoccupation. Leur professeur les a ramenés à "l'ordre", ils se sont regroupés devant le long banc. Puis, il a fallu les aider à s'asseoir. Pour ceux qui bougeaient de façon désordonnée, ce fut tout un boulot. Tout en riant, j'ai ramené au banc, pour la dixième fois, un garçon qui semblait être le fugeur de l'école. Il s'est finalement assis. Le photographe est arrivé à temps.
- Bon tout le monde met ses bras en bas.
Et hop, sur les sept, quatre ont réellement "mis leurs bras en bas". PAR TERRE. Littéralement. J'ai éclaté de rire. La prof et l'éducatrice aussi. Mais pas le photographe qui a encore soupiré.
- Bon.. pas comme ça. Vos mains SUR vos genoux.
Les enfants ont placé leurs mains au bon endroit. Puis il leur a demandé de sourire. Oh oh. Sur les sept, trois n'avaient pas le sourire présent, quoi.
- Ok. On regarde ici et on dit: Merci!!!!
Les trois n'ont pas voulu dire Merci. (D'ailleurs, c'est pas un peu plate comme mot? On n'a plus le droit de dire Cheese parce que le fromage c'est trop gras?!?)
Pour aider le photographe, j'ai levé les mains au ciel en disant: ON SOURIIIIIT!
Les trois ont AUSSI levé les mains au ciel en disant: ON SOURIIIIIT!
Je ne me pouvais plus. Une vraie caricature. Le photographe m'a regardée avec un regard mi-enjoué mi-découragé puis je me suis excusée. J'ai plutôt tapé dans mes mains pour les encourager à sourire.
Sauf que oui, vous aurez deviné, les trois ont tapé dans les mains. La grande folie!!!
J'ai décidé de m'éclipser. Mes fous rires n'auraient en rien aidé la situation, puisque si je m'étais penchée pour rire, mes trois amis se seraient penchés aussi. Hiiiii.
Une vingtaine de minutes plus tard, l'autre groupe est arrivé. Des ados. Très grands, certains fraîchement rasés, portant une chemise bien lisse et une veste en laine très chic. Deux filles, belles avec de cheveux lisses et brillants. Ils se sont installés sur le banc sans trop rouspéter. Seulement un des ados ne voulait pas sourire.
Le photographe lui a demandé:
- XYZ, es-tu capable de sourire et de me montrer tes dents?
Il a opiné de la tête et il a MONTRÉ SES DENTS AVEC SON DOIGT!
Ce que j'ai ri. "Dans les dents, le photographe, hein?" La professeure était rouge de rire, elle était à la fois gênée de la réaction de son élève et à la fois bien consciente qu'il avait fait ce qu'on lui avait demandé.
Les enfants sont d'une simplicité désarmante. Différents ou non, admettez.
Le troisième groupe est arrivé. Certains en fauteuils, d'autres qui marchaient. Un garçon a roulé jusqu'à moi en riant.
- Allôôôôôôô, m'a-t-il dit de sa voix chevrotante.
- Allô!
- Toi... madame maman?
- Oh non, moi juste madame. Pas ta maman.
- Toi pas madame maman?
- Non, juste madame.
- Allôôôô Madame!!
- Allô!
- Toi Madame viens proche.
Il a tiré sur mon bras. Je me suis approchée de lui. Il s'est mis à caresser mon avant-bras, puis, il a soulevé ma manche.
???
Je ne savais pas trop comment réagir. Je voyais bien qu'il ne faisait rien de mal, mais en même temps l'idée m'est venue qu'il voudrait peut-être lever mon chandail au complet. Et bon, vu l'air plutôt macho du photographe, l'idée ne m'enchantait pas réellement. Je l'ai interrogé.
- Qu'est-ce que tu fais avec mon bras?
- Un... un... deux...
???
J'ai aperçu son professeur. Je lui ai demandé ce qu'il faisait. En riant elle m'a répondu ceci:
- Oh!!! Il a découvert ce matin-même que nous avions tous des grains de beauté sur les bras, alors il les compte!
- D'accord!
J'ai été charmée. Sincèrement. Les enfants s'émerveillent à la découverte du moindre petit détail qui, jusque là, était resté inaperçu.
***
La journée s'est ainsi déroulée. J'ai tellement souri que j'en ai les muscles de la mâchoire courbaturés.
Je ne peux en dire autant du photographe, qui, tout au long de la dernière heure, s'est plaint à toute la planète qu'il était fatigué, rendu sourd, qu'il n'avait plus de voix, plus de cerveau, plus d'énergie.
Il s'est plaint de tout ce qu'il a pourtant, de tout ce que plusieurs de ces enfants rêvent d'avoir.
Il a osé pleurer sur son pauvre sort d'homme épuisé de travailler si dur.
***
Il est peut-être rentré chez lui ce soir et a raconté à son poisson rouge en plastique (il n'aurait pas le temps d'en avoir un vrai) qu'il s'était tapé une gang de débiles à la job aujourd'hui.
Et ce soir, il s'est couché en se gonflant le torse d'être si normal, si beau, si intelligent.
En se répétant que la différence, demain, il l'embellira grâce à Photoshop.
Parce que hein, son boulot, c'est de faire des photos. Des BELLES photos.
Pas des photos avec des émotions.
C'est des trucs pour les matantes, les photos artistiques.
Soit.
N'empêche qu'aujourd'hui, j'ai vu un photographe handicapé de la lentille.
***
Et j'ai vu des enfants heureux.
***
Et vivants.
Merci X-Mom pour ce fou rire nocturne!!! Ça fait du bien d'autant plus que la journée a été difficile. L'an dernier j'ai été bénévole pour les photos de grandes sœur et je peux t'assurer que ce ne fut pas aussi joyeux que toi. Je pense que je vais voir si je ne peux pas être bénévole pour les photos de Maelle.
RépondreSupprimerMerci pour tes billets que je suis assidûment, j'aime beaucoup ton sens de l'humour.
Au plaisir
Julie
Bien heureuse de servir de "dessert humoristique" après une journée difficile!
SupprimerPour l'humour, je suis tombée dans le chaudron quand j'étais petite: malgré ce que mes profs de création littéraire ont pu me dire concernant cet humour, je suis bien fière de toucher mes lecteurs de cette façon, quoi! :)
Juste à lire tes descriptions, j'étais crampée! J'imagine tellement la face du photographe quand l'ado lui a montré ses dents... Hahahaha je me serais tellement roulée à terre! Merci!
RépondreSupprimerDu bonbon, ton texte. Tu as une si belle écriture, pourquoi tu ne publies pas ça! C'est du bonheur en concentré chaque fois que je passe ici, même si parfois on rit pour oublier de pleurer... tu es extraordinaire.
RépondreSupprimerMerci de ces beaux compliments! Pourquoi je ne publie pas? J'ai publié au contraire... mais il y a 10 ans dans des revues littéraires universitaires de péteux! hahaha
SupprimerMais aussi, dernièrement, dans le livre intitulé "Lettre à mon enfant" publié aux Éditions de Mortagne en septembre dernier!!! Un bel hommage à X-Boy qui va passer à la postérité! :)
Et les profits des ventes vont à la Fondation du Dr Julien!!!
Votre texte est magnifique. Vous suggèrerez au conseil de l'école de choisir un photographe de coeur pour l'année prochaine, un qui va les aimer ces enfants différents et attachants, comme vous les aimez vous, un qui va faire ressortir leur beauté, comme vous le faites si bien dans vos textes.
RépondreSupprimerMerci de ces doux mots, ça me touche toujours autant. Je ne me désensibiliserai jamais à la sensibilité des autres, justement!
SupprimerPour ce qui est de la suggestion, vous pouvez être certaine que je n'y manquerai pas... et que, si seulement j'avais le temps et l'argent pour suivre une formation sérieuse en photographie, je crois que j'en ferais mon métier. J'adorerais capter en images la beauté que je perçois chez chaque humain, spécialement chez ces enfants qui la cachent sous des particularités... Je prendrais mon temps pour les photographier, je me servirais des ombres et des lumières et je ne me préoccuperais point de la "rentabilité" de ma journée...
Je ferais ces photos avec mon coeur et mes rires incontrôlables!!!
Bonjour X-Mom,
RépondreSupprimerC'est très rare que je commente sur un blog... Je vous lis toujours avec grand plaisir, mais cette fois-ci vous vous êtes surpassée! C'est un très beau billet qui montre toute la richesse des enfants différents!
X-Mom, je crois que la photo de X-Boy est très près de celle de ma fille dans le livre.. sur sa photo elle se balance en souriant à plein dents!
RépondreSupprimerPas acheté le livre encore mais ça viendra! :-) c'est un beau projet!
Je commente très rarement sur les blogs, mais votre blog est très bien écrit. J'ai travaillé comme éducatrice spécialisée pendant presqu'une dizaine d'années surtout en milieu scolaire, ça m'a rappeler de bons souvenirs et combien des fois je m'ennuie du domaine :)
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